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Le matin | Maroc | 20/04/2022 | Lire l'article original
Le phénomène des conduites addictives est très répandu au Maroc. Et c’est le Conseil économique, social et environnemental qui l’affirme dans un rapport dévoilé hier et intitulé « Faire face aux conduites addictives : état des lieux & recommandations ».
Les derniers chiffres disponibles et qui datent n’ont pas facilité le travail des auteurs de ce document de plus d’une centaine de pages. Toujours est-il qu’ils font froid dans le dos, en dépit des multiples plans qui se sont succédé, vraisemblablement sans grand impact sur le traitement du phénomène. L’une des grandes recommandations de ce rapport est d’appeler à un plan national de mesures d’urgence de santé publique basé sur la reconnaissance des conduites addictives en tant que maladie dont les protocoles de soins médicaux et d’accompagnement psychosociaux doivent être formalisés, mutualisés et remboursés sans discrimination par les organismes de sécurité sociale et les compagnies d’assurance gestionnaires de l’assurance maladie.
Tabagisme, alcoolisme, drogues, dépendance aux réseaux sociaux et aux jeux... Les conduites addictives ne cessent de prendre de l’ampleur. Qu’elles soient liées à l’usage de substances psychoactives ou à la pratique de certaines activités potentiellement addictogène, ces conduites ont des conséquences importantes sur la santé et la vie sociale, des jeunes en particulier. Dans un rapport rendu public mercredi 20 avril, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) affirme que la revue des différentes manifestations des conduites addictives montre que le phénomène est très répandu au Maroc. Intitulé « Faire face aux conduites addictives : état des lieux & recommandations », ce document de plus d’une centaine de pages alerte sur les risques liés à ce genre de pratique et a pour ambition de faire progresser la prise de conscience collective sur l’ampleur, la pluralité des formes, le danger de la banalisation et la gravité des risques des addictions dans notre pays.
Lors de l’atelier de restitution de ce rapport, le président du Conseil économique, social et environnemental (CESE), Ahmed Reda Chami, a rappelé des chiffres qui font froid dans le dos. Quelque «6 millions de personnes fument au Maroc, dont 5,4 millions d’adultes et plus d’un demi-million de mineurs de moins de 18 ans. Chaque année, entre 15 et 18 milliards de cigarettes sont consommés avec des teneurs en nicotine et en substances toxiques supérieures aux produits autorisés en Europe. 7,9% des élèves âgés entre 13 et 17 ans sont des fumeurs dont 63,3% ont commencé avant l’âge de 14 ans. 9 % disent avoir consommé au moins une fois du cannabis au cours de leur vie et 64% ont commencé avant l’âge de 14 ans. 13,3% ont expérimenté la consommation de l’alcool, 5% celle des psychotropes et 1,4% la cocaïne ». Bien que connues, ces statistiques continuent de faire peur. « S’agissant des addictions aux activités, on note que 3,3 millions de personnes pratiquent le jeu d’argent dans notre pays, dont 40% sont considérées comme des joueurs à risques excessifs. Enfin, parmi les adolescents âgés de 13 à 19 ans, 40% ont un usage problématique à Internet et environ 8% sont en situation d’addiction. Des chiffres alarmants qui devraient nous pousser à trouver des solutions rapides d’autant que le Maroc est gravement exposé à une montée des conduites addictives pour plusieurs raisons notamment, les transformations démographiques et la croissance structurelle de la part des jeunes dans la population », alerte le président du CESE.
Leila Berbich, l’une des auteurs de ce rapport, est revenue lors de sa présentation sur les effets des conduites addictives. « Une consommation occasionnelle, limitée, maîtrisée et récréative de substances ou l’exercice d’activités à potentiel addictif ne sont pas nécessairement le signe d’une conduite addictive. Mais dès lors que la fréquence de la consommation s’accroît, devenant incontrôlée et ayant des répercussions négatives sur la vie sociale, les signes d’addiction deviennent alarmants. Le problème est que les personnes, les familles et les entreprises sont souvent, par manque d’information et absence de structures de soutien et de prise en charge, démunies face à l’installation et l’aggravation des symptômes de l’addiction », a affirmé Berbich. Et d’ajouter que « les déterminants de l’addiction vont peu à peu envahir la vie quotidienne de l’individu, au détriment de sa vie familiale, scolaire ou professionnelle. À la perte de contrôle de soi, s’ajoute l’impossibilité de stopper les comportements addictifs alors même que la personne est consciente que son envie de consommer les substances ou de pratiquer les activités addictives est inappropriées et contraire à ses intérêts ». Berbich a souligné qu’à ce stade, la personne a basculé dans la dépendance. Elle ne doit être ni moquée, ni stigmatisée, ni abandonnée. Elle a plutôt besoin d’accéder à des structures d’information, de soins, d’accompagnement afin de recouvrer son autonomie de volonté et d’action. Et c’est justement là que se pose le problème. D’après le rapport du CESE, il semblerait que le Maroc tarde à développer des politiques et des infrastructures de prévention, de prise en charge et de recherche sur les addictions. Pourtant, il a été pionnier parmi les pays de la région MENA à s’y lancer.
« Depuis 2006 en particulier, le Royaume a lancé une succession de plans de prévention avec des mesures graduées, dites de niveau primaire, secondaire et tertiaire, visant la réduction des risques, les traitements et la réhabilitation. Ces mesures ont été formalisées dans un premier Plan national de santé mentale (2008-2012), suivi par un deuxième plan similaire sur la période 2012-2016 puis d’un Plan stratégique national de prévention et de prise en charge des troubles addictifs 2018-2022 », a déclaré Fouad Benseddik, l’un des auteurs du rapport. Et de préciser que « malgré tous ces efforts, les besoins du pays restent immenses. On dispose de 15 centres d’addictologie ambulatoires seulement et de 3 services résidentiels d’addictologie. Le manque de ressources humaines qualifiées, l’absence de reconnaissance de la spécialité d’addictologie, la rareté et la disparité des données, le manque de consultations spécifiques pour les jeunes consommateurs… sont autant de problèmes auxquels il faut remédier ». Ainsi, l’une des grandes recommandations de ce rapport est d’appeler à un plan national de mesures d’urgence de santé publique basé sur la reconnaissance des conduites addictives en tant que maladie dont les protocoles de soins médicaux et d’accompagnement psychosociaux doivent être formalisés, mutualisés et remboursés sans discrimination par les organismes de sécurité sociale et les compagnies d’assurance gestionnaires de l’assurance maladie.
Quelles sont les principales conduites addictives des Marocains ?
Les addictions constituent un phénomène dangereux persistant et complexe au Maroc. Elles ont un véritable impact négatif sur la vie des individus sur leurs familles et sur la société. Et si autrefois on parlait uniquement d’addiction à certaines substances comme le tabac, l’alcool ou la drogue, il existe aujourd’hui de nouvelles addictions comme celles aux jeux vidéo, à Internet, aux écrans, à la consommation excessive de certaines substances comme le sucre, aux achats compulsifs ou encore l’addiction au travail. Tout cela nous amène à considérer ces addictions comme des troubles et des maladies. Il faut souligner que nous avons rencontré certaines difficultés au moment de l’élaboration du rapport. En effet, l’accès à des données de l’information actualisées sur l’ampleur de ce phénomène dans notre pays était compliqué. Il n’y avait pas d’étude vraiment récente qui aborde ce problème ou ces nouvelles addictions. Or, pour avancer et faire des politiques plus efficaces, nous avons besoin de plus de données actualisées et plus de chiffres.
Que propose le CESE pour lutter contre les addictions ?
Même si les autorités, les professionnels de la santé, les associations et les acteurs de la société civile fournissent beaucoup d’efforts pour lutter contre ce phénomène, il reste encore beaucoup à faire. Afin de lutter plus efficacement contre les comportements addictifs, le CESE propose plusieurs recommandations. Il faut tout d’abord reconnaitre les addictions comme des maladies éligibles à des soins et intégrer les troubles mentaux dus à des addictions dans la liste des maladies prises en charge par les centres de soins et les systèmes de protection sociale. Il faut également renforcer les ressources financières pour lutter contre l’addiction. Et ce, en réservant une part pérenne des recettes de l’État générée par la vente de tabac, d’alcool, des activités de loterie pour financer la construction de structures de soins ou l’organisation des campagnes de sensibilisation sur les dangers des addictions… Il faut aussi renforcer les ressources humaines à travers la reconnaissance légale du diplôme des professionnels de la santé mentale en matière d’addictologie tels que les psychologues et les psychanalystes, et créer des statuts de ces métiers-là. Enfin, il faut abolir la criminalisation des personnes souffrant d’addiction à la drogue. Il s’agit de malades et non de criminels, qui ont besoin de se faire soigner. En revanche, il faut renforcer les sanctions contre les trafiquants des substances illicites.
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