Les pesticides sont devenus omniprésents dans notre société
moderne. Leur développement a contribué à améliorer
notre qualité de vie, mais il a aussi fait naître de
nouveaux dangers.
Dans notre pays, l’usage des insecticides, des fertilisants,
des engrais, des détergents et autres produits phytosanitaires
se répand de plus en plus avec le développement de
l’agriculture, mais aussi dans le cadre des actions de lutte
contre les vecteurs nuisibles. La pullulation des moustiques urbains
dans toutes les agglomérations du pays pousse aussi les ménages
à utiliser en abondance divers types d’insecticides.
Cette sur utilisation de produits chimiques toxiques à l’échelle
nationale risque de polluer gravement les sols, les nappes d’eau
et menace la santé de la population.
Dans cet article, nous nous fixons comme objectif d’informer
et de sensibiliser les lecteurs sur les dangers que représentent
ces substances chimiques, dont on n’a pas encore identifié
toutes les conséquences environnementales et sanitaires.
Les pesticides et leurs usages
Parmi les substances chimiques les plus utilisées dans
notre environnement actuel, ce sont sans aucun doute les pesticides
et les produits apparentés. Les pesticides (insecticides,
raticides, fongicides et herbicides) sont des composés chimiques
dotés de propriétés toxicologiques, dont le
premier usage intensif (le DDT) remonte à la Seconde Guerre
mondiale.
Actuellement, leur application se généralise de
plus en plus: ils sont utilisés principalement en agriculture
pour lutter contre les insectes, les rongeurs, les champignons,
les mauvaises herbes, mais aussi dans les ménages et pour
lutter contre les moustiques et les vecteurs dans les agglomérations
urbaines.
Si les pesticides sont d’abord apparus bénéfiques,
leurs effets secondaires nocifs ont été peu à
peu mis en évidence. Ces produits « nécessaires
» pour améliorer les productions agricoles et notre
qualité de vie se sont avérés très toxiques
à différents degrés, après avoir été
absorbés directement ou indirectement. Ce sont des produits
très stables dans la nature et qui résistent pendant
des années à la dégradation. L’application
des pesticides se fait par pulvérisation. Mais à grande
échelle parfois, ils sont rapidement disséminés
par le vent et parfois loin de leur lieu d’épandage,
où ils retombent avec les pluies directement sur les plans
d’eau et sur les sols, d’où ils sont ensuite
drainés jusque dans les milieux aquatiques par les eaux de
pluie (ruissellement et infiltration). Les pesticides sont ainsi
aujourd’hui à l’origine d’une pollution
diffuse qui contamine les sols, les eaux (cours d’eau, eaux
souterraines, zones côtières), les plantes, les produits
agricoles et, par voie de conséquence, toute la chaîne
alimentaire par le phénomène de bio accumulation.
L’usage de ces produits est en constante augmentation à
travers tous les pays du monde. Selon les constatations des experts
mondiaux, la demande en pesticides est telle que leur quantité
de production double pratiquement tous les dix ans depuis 1945.
Ce sont les pays en voie de développement (en Inde et en
Afrique) qui les utilisent de plus en plus. Au niveau mondial, la
valeur marchande des pesticides est de l’ordre de 32 milliards
de dollars, dont 3 milliards pour les pays en voie de développement
(FAO).
Dans les pays européens (où la France et l’Allemagne
sont les plus gros producteurs), les premiers cas d’intoxications
à grande échelle et de catastrophes écologiques
ont été enregistrés à partir des années
80. Ce qui a entraîné l’interdiction de plusieurs
types de pesticides (DDT, Atrazine...). Mieux encore, depuis quelques
années, dans ces pays, on assiste à l’émergence
d’un mouvement associatif qui remet en cause la sur utilisation
des pesticides de synthèse, pour les remplacer par des substances
biologiques et dégradables. La base de ce mouvement est fondée
sur les risques sanitaires et environnementaux de mieux en mieux
connus que représentent ces substances, et sur la disponibilité
d’autres alternatives qui permettrait de diminuer considérablement
l’utilisation de ces produits.
Au contraire, dans les pays sous-développés, même
les produits très toxiques, dont l’usage a été
interdit dans les pays riches, sont encore largement utilisés,
et avec beaucoup moins de précautions. Selon un communiqué
de presse de la FAO (1er février 2001), environ 30% des pesticides
commercialisés dans les pays en voie de développement
ne sont pas conformes aux standards de qualité internationaux,
car ils contiennent beaucoup d’impuretés très
toxiques.
Les pesticides en Algérie : Un usage démesuré
En Algérie, la fabrication des pesticides a été
assurée par des entités autonomes de gestion des pesticides:
Asmidal, Moubydal. Mais avec l’économie de marché
actuelle, plusieurs entreprises se sont spécialisées
dans l’importation d’insecticides et divers produits
apparentés. Ainsi, environ 400 produits phytosanitaires sont
homologués en Algérie, dont une quarantaine de variétés
sont largement utilisées par les agriculteurs (S. Boutria
et Coll). C’est la loi n° 87-17 du 1er août 1987,
relative à la protection phytosanitaire (JO 1995), qui a
instauré au départ les mécanismes qui permettent
une utilisation efficace des pesticides. Cette loi régit
les aspects relatifs à l’homologation, l’importation,
la fabrication, la commercialisation, l’étiquetage,
l’emballage et l’utilisation des pesticides. Récemment,
dans notre pays, l’usage des pesticides ne cesse de se multiplier
dans de nombreux domaines et en grandes quantités. C’est
le milieu agricole d’abord qui utilise des tonnes de pesticides
et des raticides; ces produits sont consacrés en majorité
pour le traitement des cultures, la lutte contre les rongeurs et
pour augmenter la production agricole. Ainsi, l’épandage
de pesticides est courant sur les champs de pommes de terre dans
le but de détruire les parasites pour la protection des récoltes.
La lutte antiacridienne menée au cours de cette dernière
décennie a entraîné par ailleurs le déversement
de milliers de tonnes d’insecticides. Par exemple, au cours
de la campagne de lutte antiacridienne de 2004-2005, plusieurs tonnes
de pesticides (des organophosphorés, des carbamates et la
Deltaméthrine) ont été utilisées par
épandage ou par pulvérisation dans les régions
infestées par le criquet pèlerin, dans les régions
du Sud et dans le Tell. Puis, depuis les cinq dernières années,
une autre forme d’utilisation intensive de pesticides se généralise
dans de nombreuses wilayates du pays, dans le cadre du Programme
national de lutte contre les zoonoses et plus particulièrement
dans la lutte contre une pathologie vectorielle : la leishmaniose,
une maladie qui a pris de l’ampleur malheureusement dans toutes
les régions du pays, compte tenu des bouleversements écologiques
et des dégradations environnementales urbaines et rurales.
Ces divers types de traitements par les pesticides se font généralement
pour parer à l’urgence, mais sans souci aucun des conséquences
environnementales directes et des conséquences sanitaires
sur le long terme liées aux infiltrations de ces substances
non dégradables dans les sols, dans les sources et les nappes,
puis vers les écosystèmes: les végétaux,
les animaux et nécessairement l’homme.
Les analyses des résidus de pesticides pour évaluer
le degré de contamination des milieux naturels (les cultures,
les eaux superficielles...) ne sont pas faites systématiquement.
Le dispositif de déclaration des cas d’intoxications
par les pesticides, mis en place par le Ministère de la Santé
en mai 2004, a permis d’enregistrer quelques dizaines de cas
de contaminations accidentelles des manipulateurs par les pesticides
au cours des opérations de lutte antiacridienne. Il y a quelques
années déjà, dans certaines régions
du pays, les concentrations en pesticides dans les eaux de source
et des nappes souterraines étaient élevées.
Des analyses effectuées sur des échantillons d’eau
prélevés dans la région de Staoueli (Alger)
ont montré que dans plus de 30% des échantillons,
la concentration de certaines molécules organochlorées
(lindane, H.chlore, 2,4 et 4,4 DDT, 2,4 et 4,4 DDE) et des organophosphorés
(diazinon, parathion), dépasse les valeurs guides préconisées
par l’OMS (Moussaoui et al.2001).
En plus, selon le Cadastre national des déchets dangereux,
il existe plus de 2.300 tonnes de pesticides périmés
répartis sur 500 sites détenus majoritairement par
les anciennes Entreprises nationales et usines de produits phytosanitaires
(Onapsa, Asmidal...).
Cette sur utilisation nationale des produits phytosanitaires dans
les cultures et dans le cadre de la lutte antivectorielle fait craindre
une pollution massive des sols, des eaux superficielles, des nappes
souterraines et de tous les milieux physiques dans toutes les régions
du pays. Cela, sans oublier que selon les statistiques des urgences
médicales, le nombre de cas d’intoxications aux pesticides
(accidentels ou tentatives de suicide) ne cesse d’augmenter.
Cette sur utilisation est d’autant plus préoccupante
que l’usage des pesticides doit être répété
périodiquement. Cette répétition à la
longue entraîne nécessairement une accumulation en
pesticides et de leurs résidus dans tous nos milieux naturels,
mettant en danger ainsi toute notre population par leur toxicité
multiforme.
Les pesticides, des produits hautement toxiques
Il est d’abord utile de rappeler que tous les produits phytosanitaires
peuvent être aisément absorbés par les voies
orale, cutanée et respiratoire. L’exposition par voie
respiratoire (par les poumons) est la plus rapide au cours des pulvérisations.
L’exposition à travers la peau est fréquente
et souvent insoupçonnée chez les manipulateurs. La
plupart des pesticides peuvent en effet être absorbés
par la peau en quantité suffisante pour que se produisent
des intoxications systémiques, en plus des effets dermatologiques.
L’absorption par voie orale (volontaire ou par mégarde)
provoque une intoxication aiguë qui se manifeste généralement
peu de temps après l’absorption d’une dose élevée.
L’intoxication chronique (ou la toxicité à long
terme) survient par suite de l’absorption répétée
de faibles doses de pesticides (dans l’eau ou dans les aliments
par exemple). Plusieurs enquêtes à travers le monde
ont montré qu’une grande partie de la population mondiale
est fortement contaminée par des pesticides ou par leurs
résidus qui se concentrent plus particulièrement dans
les graisses, à des teneurs de plus en plus importantes,
au fur et à mesure qu’ils remontent la chaîne
alimentaire. Selon la célèbre revue Chemical Trespass
(juillet 1999), depuis 1980, plus de 150 études sur la concentration
des pesticides dans le corps humain, en population générale,
réalisées dans 61 pays et régions du monde,
ont trouvé de nombreux pesticides dans les tissus adipeux,
dans le cerveau, dans le sang, dans le lait maternel, dans le foie,
dans le placenta, dans le sperme et dans le sang du cordon ombilical.
Les pesticides et les cancers
A ce jour, plusieurs pesticides ont été identifiés
comme des cancérigènes connus, probables ou possibles
pour l’homme, cela par différents organismes internationaux
(IARC, 1999). Le potentiel cancérigène de ces pesticides
a été déterminé à partir d’études
expérimentales ou épidémiologiques. La relation
des métabolites de DDT et le cancer du sein a été
confirmée.
Les pesticides et l’infertilité masculine
Les pesticides semblent avoir des effets sur la reproduction et
sur le développement humain via la toxicité testiculaire.
Bien qu’une telle démonstration ne puisse être
facilement faite chez l’humain, plusieurs études sur
des expositions professionnelles indiquent que certains pesticides
(le DBCP, le chlordécone, le carbaryl, le dibromoéthylène
et le 2,4-D) ont des effets délétères sur la
fertilité masculine. Cette forme de toxicité se traduit
par une baisse de la concentration des spermatozoïdes dans
le sperme et par conséquent une diminution de la fertilité
(Niesink, 1996; Hermansky, 1993).
Les pesticides et les troubles immunitaires
Les études concernant les effets des pesticides ont montré
également leur implication éventuelle dans les dysfonctionnements
du système immunitaire et donc une plus grande sensibilité
aux maladies infectieuses. En mer du Nord, où s’est
produit un déversement accidentel de substances chimiques
en 1987, plus de 18.000 phoques sont morts d’infections liées
à une dépression immunitaire grave à la suite
d’une contamination aux pesticides (une forte concentration
de pesticides a été retrouvée dans leurs tissus
adipeux).
Les pesticides et les troubles endocriniens
Des perturbations dans le système hormonal ou endocrinien,
particulièrement au stade foetal, ont été rapportées
par certaines études épidémiologiques (Colborn,
1993; CPEDD, 2000) réalisées sur des animaux recevant
de faibles doses de pesticides à long terme (le Malathion).
Une augmentation de certaines catégories de malformations
congénitales, comme les anomalies du système nerveux
central ou les fentes labio-palatines, a été observée
en association avec une exposition parentale aux pesticides. Certains
pesticides, en particulier le DDT, agissent comme des «perturbateurs
endocriniens».
Les pesticides et leur écotoxicité
Comparée à la toxicité humaine, la toxicité
pour les espèces environnementales passe souvent au second
plan. Mais l’impact des pesticides sur les espèces
pollinisatrices, la microflore et la microfaune des sols, peut être
sévère aussi. Les conséquences à long
terme de l’utilisation accumulée de pesticides se traduisent
par une dégradation lente et progressive de la biodiversité
des sols. Les déversements de pesticides à proximité
des oueds et des rivages entraîne aussi une destruction de
la vie biologique aquatique (poissons).
Vers une utilisation sécuritaire nationale des
pesticides
Toutes les données toxicologiques disponibles concernant
ces produits et leurs impacts sur l’environnement et la santé
publique militent en faveur d’une grande prudence dans l’utilisation
de ces substances chimiques et surtout un plus grand contrôle
de ces produits, aussi bien dans le milieu agricole qu’au
niveau des services techniques utilisateurs (communes chargées
de la lutte antivectorielle), et également dans l’utilisation
des produits insecticides et détergents dans les ménages.
L’utilisation sécuritaire doit d’abord être
orientée vers les services agricoles, auxquels on doit renouveler
sans cesse des recommandations sur l’usage adéquat
de ces produits dans l’agriculture et les risques qui en découlent,
des suites d’un usage sans précaution et des surdosages.
Les risques de toxicité à long terme peuvent être
sévères, aussi bien pour les agriculteurs que pour
leurs enfants et tout leur entourage familier. On recommande d’ailleurs
à ce titre d’éloigner les enfants et les animaux
de toute surface agricole traitée aux pesticides pendant
au moins 24 heures. L’utilisation sécuritaire doit
être envisagée également envers les techniciens
chargés des programmes de lutte antivectorielle dans les
différents services techniques (commune...). En milieu urbain,
les opérations de démoustication et de pulvérisation
d’insecticides doivent être réalisées
avec un maximum de précautions (application nocturne, absence
de vent, température inférieure à 25 degrés
Celsius...).
La protection des manipulateurs est vitale pendant l’utilisation
des pesticides. Les règles élémentaires (il
ne faut pas fumer, ni boire, ni manger, ne pas se frotter les yeux
ni porter les mains à la bouche...) doivent être rappelées
sans cesse. Le lavage abondant des mains est indispensable après
chaque utilisation de pesticides. L’utilisation sécuritaire
doit être envisagée également dans les ménages.
Tous les moyens doivent être utilisés (média,
apprentissage scolaire...) pour souligner les gestes utiles vis-à-vis
des produits ménagers (ne pas entreposer de produits de ménage,
lessive, détergents, insecticides près des aliments
ou des boissons, ne jamais transvider ces produits dans d’autres
contenants, bouteille d’eau par exemple, mettre les produits
de ménage hors de la portée des enfants...).
L’urgence d’un plan phytosanitaire national
Je ne voudrais pas terminer cet article de sensibilisation et d’information
sur ces «poisons nécessaires» que sont les pesticides,
sans rappeler qu’il devient urgent d’introduire au plus
haut niveau de la décision une réflexion autour d’un
plan national de contrôle des produits phytosanitaires, qui
permettra, d’une part, de faire appliquer tout le dispositif
réglementaire national concernant ces produits, mais également
d’élaborer un dispositif de protection de l’environnement
et de la santé publique vis-à-vis de ces produits
toxiques.
Ce plan phytosanitaire national devra être chargé
:
Pour répondre à cette question, la commission suggère
quelques pistes :
- 1) de renforcer les contrôles de l’importation,
de la commercialisation et de l’utilisation des produits
phytosanitaires,
-
2) de mettre en place une filière de récupération
des emballages vides et des produits phytosanitaires non utilisés
ou périmés,
-
3) de mettre en place un dispositif de contrôle technique
obligatoire des pulvérisations d’insecticides en
milieu urbain et en milieu agricole,
-
4) d’introduire une règlementation concernant
les teneurs minimales de la concentration de pesticides dans
les laits commercialisés, dans l’eau potable et
dans certains aliments de base (la pomme de terre), et enfin
-
5) d’instaurer un système de déclaration
obligatoire de tous les cas d’intoxications par les produits
chimiques.
Par Dr. Mustapha Bouziani - Le 26 juin
2007
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